IA et exploration spatiale : quel rôle pour l'intelligence artificielle dans l'espace ?
- Stéphane Guy
- 31 déc. 2024
- 8 min de lecture
Dernière mise à jour : 27 janv.
Alors que l'Europe semble avoir de nouveau le vent en poupe dans le domaine du spatial, en particulier le monde des start-ups, l'intelligence artificielle s'est déjà frayée un chemin dans le secteur et s'est mise au service de celui-ci. Mais quel est l'impact de l'IA dans l'exploration spatiale et quel rôle occupe-t-elle ?

L'intelligence artificielle au service de l'exploration spatiale : de quoi parle-t-on ?
De plus en plus d'objets lancés dans l'espace
L'intelligence artificielle trouve depuis plusieurs années déjà une application essentielle, bien que semblant assez basique en apparence : le traitement des données collectées par les satellites, sondes, rovers et autres objets spatiaux envoyés dans l'espace. Pour donner un ordre d'idée, "le nombre total de satellites effectivement déployés en orbite est très impressionnant : près de 2900 satellites. Cela représente une augmentation de 17 % par rapport à 2022, augmentation également plus modeste que celle constatée en 2022 (36 % par rapport à 2021)."* Le lancement de satellites, et plus spécifiquement ces dernières années de CubeSats, ces petits satellites de faible poids et dont le coût est de moins en moins élevé, augmente d'année en année. Cela est dû à un coût d'accès à l'espace de plus en plus bas grâce à la réutilisation des fusées dont SpaceX est l'un des pionniers, ou encore l'apparition de plusieurs acteurs sous la forme de start-up, créant une concurrence plus rude et tirant donc le prix de l'accès à l'espace vers le bas, toute proportion gardée.
*Un autre regard sur la terre ; L’année spatiale 2023 : le bilan des lancements orbitaux
Un volume de données à décrypter de plus en plus conséquent
Cette augmentation de données se traduit également dans le domaine scientifique avec toutes les sondes et appareils déjà présents dans l'espace : Voyager 1 et 2, Akatsuki, James Webb... tous ces appareils envoient continuellement des données brutes, lourdes et difficiles à décrypter. Un chiffre illustre ce constat : "Un quart de million de téraoctets de données satellitaires, c’est ce que devraient générer les différentes missions des sciences de la Terre menées par la NASA en 2024, soit 25 000 fois l’intégralité des documents imprimés de la bibliothèque du Congrès américain."*
*LFDE ; L’IA & les données spatiales, un duo au service de la planète
L'IA et ses capacités de traitement au service des téraoctets de données à analyser
C'est là que l'IA tire son épingle du jeu. En effet, grâce à des algorithmes toujours plus performants et mieux entraînés, les programmes boostés à l'intelligence artificielle sont capables de traiter un nombre de données de plus en plus important, permettant de trier, classer et répertorier les différents corps célestes découverts de plus en plus vite. Si l'IA est capable de faire cela, elle est également capable de détecter plus facilement des anomalies qui sortiraient en dehors des modèles existants. Cela permet à la communauté scientifique de pointer du doigt plus efficacement les événements spatiaux plus vite, et d'en trouver plus.
Voir aussi : Le Deep Learning expliqué simplement : principes et applications dans le domaine de l'IA
Des données à traiter qui peuvent aider en premier lieu la Terre et les sociétés
Avant de se tourner vers d'autres planètes, l'intelligence artificielle nous permet déjà d'aider la Terre et ses habitants. Comment ? Grâce aux données de plus en plus importantes rapportées par les différents satellites et sondes (y compris autour de la Terre donc), nous apprenons de plus en plus de notre planète bleue. En plus de cela, les satellites de surveillance météo ou affectés à la surveillance du climat peuvent détecter de plus en plus précisément les variations météorologiques, prendre des clichés de la Terre pour avoir une vision globale d'événements naturels, etc.
Cette capacité d'analyse de l'IA au service du bien commun n'est pas nouvelle. En effet, en mai 2024, "la startup toulousaine BWI réussit à prédire les débits et hauteurs des fleuves et des rivières à dix jours".* Désormais, l'intelligence artificielle est essentielle dans la prévision de données météorologique, géologiques, hydrologiques... Et plusieurs autres grandes puissances comme l'Inde ou les États-Unis ont déjà commencé à utiliser l'IA dans ce but.
*La tribune ; Spatial : quand l'intelligence artificielle permet de prédire les débits des cours d'eau
Un autre exemple de l'aspect crucial de l'IA nous vient de l'Université d'Australie du Sud, qui a conçu en 2024 un modèle d'IA capable de détecter les feux de forêt grâce à l'analyse d'images satellites. Quand on sait que les feux de forêt ont été multipliés par deux en 20 ans, notamment à cause du changement climatique, un tel programme est vital. L'IA, couplée au satellite lancé pour cette mission, pourrait "détecter les incendies jusqu’à 500 fois plus vite qu’avec le traitement traditionnel des images au sol."* Cela a été rendu possible en intégrant directement dans le satellite un module d'intelligence artificielle capable de traiter directement les photos prises par ledit satellite.
*Geo ; Incendies de forêt : l'IA à la rescousse, pour détecter immédiatement les flammes depuis l'espace
Comment l'IA est capable de détecter des incendies ou des variations de niveau pour des cours d'eau ? Grâce à l'apprentissage supervisé, entre autres. Ce dernier consiste à nourrir l'IA avec des données déjà triées et "annotées" pour la former dans un but précis, comme la détection d'incendie ou les variations de volumes d'eau justement. C'est notamment le cas du modèle d'IA créé en Australie, auprès duquel on a fourni des images satellites d'incendies et feus plus récents. Cela a permis à l'IA de différencier la fumée d'un incendie des nuages afin de la détecter et de donner l'alerte. Si vous voulez en savoir plus sur l'entraînement de l'intelligence artificielle, on vous explique les différents modes d'apprentissage dans notre article qui explique c'est quoi une intelligence artificielle.
Mais la détection d'images ne s'arrête pas uniquement aux catastrophes naturelles. La géopolitique est également impliquée. Une IA capable de reconnaître les changements visuels peut également être entraînée pour différencier des navires commerciaux de bâtiments de guerre. Une fonction bien pratique pour observer les mouvements de flottes ou de navires commerciaux.
Une autonomie cruciale pour les vaisseaux, stations spatiales et missions extraterrestres rendue possibles grâce à l'IA
Des vaisseaux spatiaux et stations gérées par l'IA
Dans le futur, l'ISS, la station spatiale internationale, devra être désorbitée et détruite à l'horizon 2030*. Ce sera l'occasion pour les différents acteurs privés de mettre en avance leur savoir-faire pour créer des stations ou des bouts de stations spatiales pour les futures installations. Au vu de la situation géopolitique, on peut supposer que la NASA décidera de créer sa propre station spatiale, peut-être en collaboration avec des entreprises européennes et des acteurs privés. La Chine a déjà créé sa station spatiale et d'autres puissances émergentes dans le secteur comme l'Inde pourront peut-être en faire de même.
*La Tribune : ISS : SpaceX missionné par la Nasa pour détruire la station spatiale internationale après 2030
Ces multiples stations auront donc besoin de systèmes performants et de plus en plus autonomes pour être gérées, car elles pourraient très bien être laissées sans personnel durant certaines périodes. L'intelligence artificielle pourrait alors grandement aider ces futures stations à s'autogérer pour notamment continuer des expériences entamées par le personnel. D'ailleurs, l'ISS a déjà une IA à son bord pour superviser une partie des systèmes de la station, appelée Cimon (pour Crew interactive mobile companion), depuis 2018.
*Le Monde Informatique : Cimon, le robot IA d'Airbus et IBM, embarque dans l'ISS
Une exploration facilitée par les robots boostés à l'IA
Si l'IA va permettre d'aider la supervision des installations de l'homme dans l'espace, cela va également être le cas pour l'exploration. En fait, il est même plus approprié de dire que l'intelligence artificielle est déjà présente pour l'exploration.
En effet, nous avons déjà parlé des modèles d'IA entraînés avec des images afin de reconnaître les modifications du terrain. C'est cette même technique qui est déjà utilisée et en train d'être améliorée pour les atterrisseurs spatiaux. Cette technologie permettra au fil du temps aux robots de reconnaître directement le terrain pour atterrir de manière autonome, plutôt que d'avoir un humain qui doit piloter l'objet à distance.
Cela est un sérieux gain de précision et de fiabilité. Pourquoi ? Car l'envoi d'un message ou d'une communication au sens large depuis la Terre vers Mars met 20 minutes à voyager ! Autrement dit, si un atterrisseur martien est en phase d'approche, les données qu'il enverra seront reçues 20 minutes plus tard par la Terre, soit bien trop tard pour réagir en conséquence. Les robots capables de réagir en fonction du terrain grâce à une IA capable de reconnaître la nature du sol sont donc un atout crucial pour le futur de l'exploration spatiale.
Voir aussi : C'est quoi SearchGPT et comment ça marche ?
Un accès au spatial de plus en plus facile grâce à l'intelligence artificielle
Si l'IA promet de faciliter l'exploration et la colonisation spatiales, elle promet également de réduire les coûts liés à l'accès à l'espace. Comment ? En imaginant la fusée parfaite ! Plus concrètement, des entreprises sont déjà en train de tester l'application d'intelligences artificielles dans la conception de modèles de fusées à bas coût afin de réduire ceux de leurs entreprises. Une démocratisation de ce procédé permettrait de faire baisser le coût global de l'accès à l'espace, voire de permettre l'émergence de nouveaux acteurs pour diversifier encore plus le secteur.
C'est notamment le cas de l'entreprise Rocket Factory Augsburg, appelée aussi RFA. Il s'agit d'une start-up Allemande dont l'objectif est de proposer des lancements à bas coûts pour la mise en orbite de petits satellites. L'entreprise entend bien tirer son épingle du jeu grâce à l'intelligence artificielle. En utilisant des programmes précis et des demandes spécifiques comme le meilleur rapport qualité-prix pour un alliage. La chaîne spécialisée dans l'espace Hugo Lisoir la présente d'ailleurs en détail dans son documentaire, en lien ci-dessous.
Une future colonisation spatiale rendue possible grâce à l'IA ?
Tous les avantages que l'IA promet peuvent être appliqués en grande partie à la colonisation spatiale. Si on imagine un futur à très long terme avec des vaisseaux envoyés aux confins de l'espace, ce dernier pourrait être piloté entièrement par l'IA pour permettre aux humains de rester dans une sorte de sommeil permanent, pour empêcher leur vieillissement. On peut aussi imaginer des vaisseaux sans humains à bord, envoyés d'abord pour préparer une colonisation humaine en créant les infrastructures essentielles. L'IA permettrait alors de gérer le vaisseau durant tout le trajet, et de gérer la phase d'approche sans avoir besoin d'un pilote grâce à une IA capable de détecter en temps réel les zones propices pour se poser.
Pour étudier un dernier nouveau concept dans cet article, l'intelligence artificielle permettrait également de créer des machines qualifiées de "autoréplicatives". Ce terme désigne des machines capables de se reproduire à partir des ressources sur place. Ainsi, en envoyant un vaisseau spatial avec un nombre limité de ressources et la ou les bonnes machines, ces dernières seraient ensuite capables de se reproduire avec les ressources trouvées sur place. Ainsi, une véritable colonie pourrait être créée avec des robots et sans avoir besoin d'un vaisseau gigantesque, difficile à construire et à garder en un seul morceau pour le voyage.
L'intelligence artificielle semble bien partie pour continuer de se creuser une place dans le secteur spatial. Ce domaine a encore beaucoup à nous montrer. Nul doute que l'actualité spatiale combinée à l'IA va nous proposer un spectacle très intéressant !
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